DANS LA GUEULE DU GRAND MECHANT LOUP

C'est un monstre de fer qui avale chaque jour des milliers d'âmes en peines, se tordant de douleur à travers une faune et une flore en perdition sous ses coups de boutoirs peu respectueux et autoritaires. Il bombe le torse et s'engouffre par dessous terre ou dans les airs, il semble sans limites et son appétit est grandissant ; de quartiers pavillonnaires en affiches publicitaires, il est partout et ailleurs, une vie parmi la vie, entre cinq heures et minuit. Aphorismes et dialectes primitifs se partagent ses couloirs tandis que la douce mélodie d'une guitare saturée vous coule dans les méandres de son souffle. Il vous étouffe, vous dégoûte, vous plombe le crâne et il pue la crasse chaude d'une journée bien remplie où chacun se presse pour arriver à l'heure à son rendez vous. On peut y croiser entre ses rails des clones de nos ancêtres les gaulois en bottes s'alcools et en fripes usées jusqu'à la moelle, des pétasses en shorts qui se congratulent par textos en usant leur vernis à ongles à écorcher les oreilles des rivales potentielles ; et que dire de ces quidams de touristes qui perdent la tête entre les stations Vaugirard et Champs de Mars, ils ont l'air de brebis égarées qui redoutent l'arrivée du grand méchant loup. On évite les gangs de casquettes à l'envers, on fuit les enfants de l'Est friands des sacs du Bon Marché, on sue à grosses gouttes, on gueule en sourdine le casque sur les oreilles comme pour mieux se protéger de ces ennemis du quotidien qui osent nous frôler et respirer le même air que le nôtre. C'est un délicieux bal populaire, alors dansez maintenant ! Mais prenez garde à et écoutez le lapin : "Attention ! Ne mets pas tes mains sur la porte, tu risques de te faire pincer très fort."