L'HOMME ENTRE DEUX VIES

Les pieds dans le sable, il essaie de compter les nuages au dessus des toitures iodées de la noble Cabourg. Comme une ivresse non partagée, s’entrechoquent dans sa tête toutes les peintures qu’il a laissé derrière lui ; bien à l'abri des épitaphes simplistes il tremble à l’idée de ne plus humer la chaleur de l’été. Les promeneurs s’enlisent, lisent et patientent jusqu’à la cloche annonçant un souper bien mérité après des heures de labeurs somnolantes. La ligne de flottaison se fait plus trouble tandis qu’il lance en haut des vagues des milliers de particules patibulaires, il faut bien qu’il nettoie son disque dur au bord de l’implosion. Les chalutiers s’embrasent au loin et torturent un peu plus les entrailles d’une mer qui ne demande qu’à voguer en paix ; c’est l’hiver et pourtant il n’a pas froid il suit sur le chemin et se rassure en se persuadant que les uns ne sont pas forcément les autres.

On amasse les châteaux sur les joues du rivage, on rit à s’enterrer vivant, on scrute les dessous affriolants des belles vacancières, on espère qu’il y aura de la crème brûlée sur la carte des desserts. Ce sont ces tous petits riens qui nous font nous sentir vivants, ça nous rassure de savoir que notre voisin a bien ouvert sa fenêtre ce matin ; la douceur du réconfort permanent.

Il ne sent plus ses pieds, l’eau vient s’inviter à la fête de ses pensées, il est heureux qu’elle ait accepté son invitation. Il est un homme entre deux vies qui a hâte que la prochaine lui propose de la suivre pour qu’enfin souffle en lui ce foutu vent de liberté qui lui manque tant.

Cabourg s’endort et avec elle les ultimes assauts des chasseurs de primes sévissant dans les allées d’un casino bientôt désert ; la plage nue comme toutes les nuits s’empare des étoiles pour mieux les faire se réfléchir sur sa robe de pleine lune. La beauté ne tient finalement pas à grand chose. Inondé jusqu’au dernier épi, il laisse la nature reprendre ses droits pour enfin renaitre un peu plus au nord là où l’air se fait plus pur. Mais pour combien de temps ? Pour combien de vies ?