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En haut des vagues
28 octobre 2017

PAUSE CAFE

Les premiers rayons de soleil d’avril traversent la baie vitrée pour mieux faire suer le comptoir où se joue le grand bal populaire, les coudes sur le zinc et les verres de blanc en file indienne alors que les collégiens n’ont même pas encore rendu leur première copie du matin. Ca sent bon l’authentique, le burlesque tapageur et les saveurs d’un temps que l’on pourrait croire révolu ; quelques minutes d’une rare jouissance dont je bois chaque instant.

Les habitués sont légions et semblent se faufiler à travers le temps qui passe sans prendre une ride, la chemise bien repassée par Madame qui est restée dans l’âtre à s’occuper de ses chats. Chardonnay, Sauvignon, Kir rosé, le bruit des bouchons qui sautent se mêlent aux expressos des pressés de la gâchette trop obnubilés par la trotteuse affolante pour profiter de ce spectacle quotidien. Le patron et sa cigarette qui fume s’amuse des retards de certains tout en gueulant sur un turfiste qui n’arrive pas à suivre le fil d’une conversation sans queue ni tête dont il a pourtant lancé le sujet. Je commande un grand crème et je suis bien, tellement bien. Par terre s’entassent les espoirs déçus d’une fortune qui se gratte et les emballages sucrés, un microcosme au ras du sol, un tableau invisible.

J’apprends que Monsieur Georges, aux allures d’un père Noël destructuré, est depuis deux jours alité dans une clinique du coin. « Rien de sérieux » clament ses collègues de barbe, « Hey patron ! C’est ta cave qui va être contente, elle va pouvoir souffler un peu ! ». Ça charrie, ça beugle et les tournées repartent de plus belles. Accroché au mur, un vieux poste de télé côtoie les promotions de la française des jeux et diffuse en continue les exploits des canassons aux robes multicolores. Les joueurs aguerris y jouent quelques bouts de retraites espérant faire sauter la banque et retarder un peu plus l’ennuie mortel qui les guettent. La pompe à bière n’est pas en reste, le café belge a aussi son mot à dire dans ce foutu bordel ; elle chante la mousse rassurante, elle hydrate les gosiers édentés, elle siffle comme une marquise de bonne famille qui aurait perdu ses souliers de verre, on n’entend qu’elle au fur et à mesure que l’on se rapproche des préfaces du déjeuner. C’est ici, c’est maintenant et rien ni personne, pas même la crise, ne sera assez fort pour empêcher le cirque du rare de tourner encore et encore. La vie dans la vie, c’est un alléchant appareil à fabriquer des instants magiques tous droits sortis d’une route parallèle aux communs des essentiels ; le décors reste figé mais jamais je ne suis déçu par toutes ces discussions virvoletantes et tellement vraies. C’est ça : ici on est dans le vrai.

Le jeudi c’est couscous ! Pierrot et sa jambe de fer s’amuse déjà du plaisir qu’il prendra quand il sera devant son assiette. Ses yeux, cachés derrière ses lunettes en ivoire, pétillent comme à ses plus beaux jours ; il est heureux Pierrot en ne s’en cache pas, ça fait plaisir à voir. On se dit bonjour chaleureusement moi qui pourtant qui suis aimable comme une porte de prison quand je ne connais pas la personne. Ici tout est si simple, si limpide qu’on ne peut retenir ce que l’on a de meilleur de nous. C’est un accélérateur de bonheur qui vous prend à bras le corps seulement si vous prenez le temps de le comprendre.

J’espère que Georges sortira bientôt pour lui offir un godet et pour l’écouter parler de ses histoires aux mille paragraphes, râler sur les politiques qu’il traite de « gros cons », rire devant le sourire d’un enfant qui lui demande si c’est lui qui distribue les cadeaux quand il dort la nuit du vingt quatre décembre. Mon grand crème terminé je profite une dernière fois de ce délicieux moment et je laisse aux pensionnaires permanents des lieux d’écrire les prochains chapitres de cet ouvrage dont je ne me lasse de dévorer les pages. 

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